[Cet édito est également disponible en ukrainien.]
Il y a 73 ans, le ministre français des Affaires étrangères, Robert Schuman, proposait à l’Allemagne vaincue et aux autres nations européennes volontaires, une nouvelle forme de coopération censée empêcher à l’avenir tout recours à la guerre.
Le pari était audacieux. Il a réussi.
A l’intérieur des frontières de l’Union européenne nul n’imagine plus désormais recourir à la force pour régler un différend avec un partenaire ou un voisin. Il y a pour cela des traités, des institutions, des procédures, des lieux où s’échangent les points de vue, où s’élaborent des compromis et des décisions communes.
Beaucoup rêvaient alors d’une Europe fédérale. Robert Schuman inventa une méthode progressive et respectueuse des identités nationales parce que, 5 ans après la fin des combats en Europe, c’était la seule façon de réunir les ennemis d’hier.
C’est le sens de la formule fort peu déclaratoire : « L’Europe ne se fera pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble ; elle se fera par des coopérations concrètes créant une solidarité de fait ».
Et c’est ainsi que depuis 73 ans progresse l’intégration de l’Europe, qui ménage les nations, mais leur offre des solutions pour affronter des défis qu’elles ne peuvent plus relever seules. Pas à pas, parfois trop lentement mais toujours dans la même direction.
La solidarité entre les Etats est plus forte qu’ils ne l’avouent eux-mêmes. Les difficultés de l’exercice des affaires publiques les obligent à s’assembler dans la plupart des sujets qui les concernent : monnaie, finances, économies, santé, environnement…
Il n’y a plus de domaine dans lequel les gouvernements nationaux fassent totalement abstraction de la dimension européenne. Et quand ils hésitent à partager leurs compétences, ils échouent, comme par exemple face à la difficile question migratoire. Car au XXIème siècle la taille compte et nous sommes si petits à l’échelle de la planète !
Sur la scène internationale l’Europe existe et pèse mais sa promesse de paix est défiée. Le retour de la guerre sur le continent lui rappelle qu’il n’y a pas de puissance sans force crédible. Aussi s’attelle-t-elle à bâtir difficilement des armées dissuasives, pour préserver la paix.
La compétition économique l’oblige à valoriser davantage ses immenses atouts faits de savoirs, de savoir-faire, de technologies, d’accomplissements techniques exceptionnels et de culture accumulée.
Ses valeurs de démocratie, d’Etat de droit, de respect des droits de l’Homme, sont reconnues partout dans le monde où elles sont questionnées et désormais combattues car elles brillent et fascinent.
Cette déjà longue histoire européenne est inédite dans l’histoire de l’humanité : il n’y a pas d’autres exemples d’unification pacifique d’un continent. Aussi cette construction est-elle toujours fragile.
Elle gène les dictateurs car elle attire leurs citoyens ; elle embarrasse les idéologues car elle est plus humaine et pragmatique que leurs dangereux discours ; elle prend de court les nationalistes dont les promesses ne sont plus crédibles. L’Europe a des ennemis et des rivaux et elle doit s’adapter plus vite. Elle avance, tâtonne parfois, mais se renforce toujours.
Il va lui falloir encore beaucoup d’efforts pour affronter ce siècle surprenant. Il lui faut désormais gagner les cœurs après avoir conquis les esprits. Pour devenir un véritable projet partagé par tous ses citoyens.
Le 9 mai nous pouvons célébrer un succès exemplaire ; nous devons surtout montrer que nous sommes prêts à le parachever, pour que l’Europe demeure dans le trio des grandes puissances, ce qu’elle est : un continent de cocagne !