Il est d’usage d’affirmer que « l’Europe est à un tournant ». Ne nous emballons pas : elle y est depuis 73 ans !
Mais il est non moins vrai de constater que les défis lancés à l’Europe ces derniers temps sont particulièrement existentiels. L’Union européenne en 2023 va devoir en relever au moins trois : celui de sa résilience, celui de la puissance et celui de la performance.
Les Européens vont devoir démontrer qu’ils sont capables de triompher de l’attaque de Poutine. Il leur a déclaré la guerre au nom de « la décadence de l’Occident collectif », se permet des violations inédites de sa parole et du droit, les présume faibles et divisés, mais il les craint aussi parce qu’il les sait plus riches et au fond bien plus forts.
Il a organisé la hausse des prix de l’énergie, puis le chantage qui s’ensuit, des actes de déstabilisation de notre voisinage, en Géorgie, en Afrique et enfin la guerre en Ukraine, pensant que la politique du fait accompli serait acceptée d’un continent qui ne veut pas le retour de la guerre.
Jusqu’ici les Européens ont résisté unis, soutenant l’Ukraine, sanctionnant l’attitude de Poutine et l’isolant, le privant des ressources dont il a déjà privé son peuple. Il va falloir tenir dans la durée, résister au chantage énergétique et aux provocations sans rien céder à la violence, au prix vraisemblablement de sacrifices. L’Europe en a pris le chemin. Ce n’est pas le moindre des défis.
L’Europe a tout pour être une puissance mondiale de premier plan : la technologie, les ressources humaines, l’organisation et la société civile de ses Etats membres, son droit parmi les plus évolués. Mais il lui manque une ambition stratégique globale et la force militaire, seule capable de rendre crédible une diplomatie à vocation mondiale.
On sait que cette dernière exigence est compliquée pour certains membres de l’Union, qu’ils soient neutres ou empêchés par leur histoire, qu’ils ne ressentent pas les menaces ou qu’ils préfèrent laisser à d’autres le soin de les défendre.
Il est pourtant urgent que l’Europe se dote d’une puissante capacité militaire. C’est le seul moyen pour elle de garantir la paix et de défendre ses intérêts. Cela ne saurait remettre en cause ses alliances, notamment avec les démocraties qui doivent rester unies face à la montée des dictatures ; mais c’est son devoir et elle en sera comptable devant ses citoyens en quête de sécurité.
Enfin, le troisième défi pour les Européens est celui de la performance. Ils doivent démontrer l’efficacité de leur coopération, leur capacité à surmonter leurs divergences, pour garantir une économie prospère et la croissance qui seule permet de lutter contre les inégalités et d’assurer une véritable solidarité sociale.
Répondre aux exigences de la révolution numérique en renforçant notre tissu industriel et en musclant une politique commerciale de dimension mondiale, tout en prenant en compte l’impératif environnemental, n’est pas toujours facile.
Entre les excès de certains créés par la peur du grand soir écologique et les besoins du plus grand nombre, surtout les plus exposés, l’Union européenne doit naviguer au mieux, sans, jusqu’ici, utiliser les outils traditionnels des Etats : préférence nationale, réciprocité commerciale, politiques publiques volontaristes et structurantes.
Les politiques européennes traditionnelles sont donc soumises à une profonde remise en cause.
De sa capacité d’adaptation au nouveau contexte et de sa modération dans la règlementation systématique dépendra donc le succès économique de l’Europe.
Si elle accepte de reconnaître qu’elle a désormais des ennemis, de démontrer qu’elle est forte si elle le veut et qu’elle est agile dans ses adaptations, l’Europe a toutes les chances de rester dans le peloton des principales puissances mondiales. Cela commence dès maintenant.