[Cet éditorial est également disponible en ukrainien.]
La victoire probable de l’Ukraine repoussant l’agression russe, ne met pas pour autant l’Europe à l’abri d’autres tentatives de déstabilisation, voire de véritables agressions. La Russie de Poutine est bien un ennemi et il faudra du temps et beaucoup de changement dans ce pays avant qu’il ne redevienne un partenaire acceptable. L’Europe doit donc renforcer sa défense.
L’agression russe s’est déroulée avec la menace permanente d’emploi d’une arme nucléaire envers un Etat qui, en 1994, l’avait volontairement abandonnée en échange de garanties internationales de ses frontières et de sa souveraineté de la part des membres du Conseil de sécurité de l’ONU. Elle se poursuit avec le même chantage tandis que ses voisins et ses alliés sont contraints à une assistance limitée à la fourniture d’armes et de crédits, l’Amérique entraînant une Europe plus ou moins volontaire. Elle démontre qu’un Etat non doté de l’arme nucléaire est exposé à une agression de type conventionnel. Quelle que soit la taille de ses armées – on peut multiplier le nombre de divisions – elle n’empêcherait pas une agression comme celle dont l’Ukraine est la victime.
Certes la sécurité du continent européen est majoritairement assurée par l’OTAN et la couverture nucléaire américaine. Mais, en cas d’agression caractérisée sur un de ses membres, de nature hybride ou conventionnelle, est-on bien sûr que les Américains mettront tout de suite et totalement en jeu la sécurité de leurs propres citoyens par une « montée au nucléaire » immédiate engageant leurs forces de dissuasion ? Légitimement, et comme l’histoire nous l’enseigne, ils y regarderont forcément à deux fois et, très certainement, tenteront de « calmer le jeu » avant de se résoudre à intervenir.
C’est là que la déclaration réitérée du Président français, le 9 novembre à Toulon, prend toute sa valeur. En réaffirmant que la dissuasion française « avait une dimension européenne », Emmanuel Macron, comme tous ses prédécesseurs, a mis l’accent sur l’apport français à la sécurité de l’Europe. La force nucléaire française, indépendante et agile, est la garantie supplémentaire qui manque à l’Europe et à l’OTAN dans laquelle elle s’inscrit parfaitement.
On sait que le meilleur allié est toujours le plus proche et s’il n’y a pas lieu de mettre en cause la solidarité américaine envers les Européens, le réalisme et l’expérience démontrent que face à l’agression d’un Etat doté de l’arme nucléaire, seul le nucléaire protège vraiment. Sur le sol européen, l’activation d’une force de dissuasion européenne peut convaincre les Etats-Unis d’intervenir et ainsi plus surement dissuader l’agresseur.
Autrement dit, tous les efforts conventionnels des Européens seront vains s’ils ne sont pas accompagnés d’une « crédibilité nucléaire » européenne. Quant à une défense antimissile, telle qu’imaginée par certains, dont l’Allemagne, elle ne peut apporter une garantie d’efficacité à 100% face au mode opératoire russe tel qu’on le connait, et, en l’occurrence, il suffit qu’une seule tête nucléaire la franchisse pour que … les milliards en vain dépensés s’envolent en holocauste.
En outre, si elle devait voir le jour, cette initiative relancerait une dangereuse course aux armements, les Européens multipliant les investissements dans le conventionnel pendant que nos adversaires potentiels accroîtraient le nombre de leurs ogives nucléaires. Le résultat serait l’inverse du but recherché et augmenterait le danger pour l’Europe.
Les Européens devraient donc en tirer les conséquences : seul le nucléaire protège de l’agression d’un Etat doté de cette capacité ; seul l’allié le plus proche offre la garantie d’intervenir dès le début d’une agression parce que ses intérêts directs sont partagés avec les agressés. Seule la France est un Etat de l’Union doté de l’arme nucléaire. La sécurité de l’Union ne peut donc pas être pensée sans la France qui lui apporte une dimension qui lui manque.
Si ces quelques évidences pouvaient être partagées par les Européens, peut-être leurs efforts de défense à venir les mettraient à l’abri d’une agression de la part d’un Etat révisionniste comme la Russie de Poutine. Dans le cas contraire, ils se paieraient de mots…et d’équipements aux prix exorbitants, bien inutiles en cas d’agression. Et si celle-ci devait conduire à un conflit ouvert, ils auraient choisi la guerre la plus coûteuse en vies humaines.
Une concertation européenne franche et approfondie sur cette problématique de dissuasion est indispensable pour garantir la sécurité de l’Europe. Il est temps de l’organiser, par exemple au sein d’un Conseil de sécurité européen rassemblant des chefs d’Etat et de gouvernement dont le premier devoir est de protéger l’Europe et les Européens.