La France est désormais le seul Etat de l’Union européenne doté de l’arme nucléaire. Cela l’oblige à penser sa sécurité dans la dimension européenne. Cela oblige ses partenaires à le prendre en compte.
En rappelant le 7 février la doctrine nucléaire française, Emmanuel Macron a tendu la main aux Européens, leur proposant de participer à un dialogue approfondi et à des exercices communs sur la dissuasion, en vue d’une plus grande autonomie stratégique de l’Europe.
Ses partenaires acceptent sur leur sol, sous les ailes de leurs propres avions, dans les coffres de leurs camions et au fond de leurs hangars, des armes nucléaires dont seul le président américain peut ordonner l’emploi. L’OTAN en discute peut-être, mais le seul qui puisse mettre en œuvre la dissuasion, cet exercice diplomatique des plus sophistiqués, mariage subtil de bluff, de puissance, de technologie et de raison, et finalement utiliser ces armes, c’est Donald Trump.
L’arme nucléaire ne se compare à aucune autre. Dans la doctrine française, elle ne saurait être une arme de bataille ; elle est destinée à empêcher la guerre. Sa crédibilité dépend du caractère inacceptable des dommages que subirait un éventuel agresseur et pour le dissuader de miser sur le succès de l’escalade, de l’intimidation ou du chantage. La taille de l’arsenal nucléaire n’est donc pas déterminante ; seules sa suffisance et son efficience en constituent la mesure. Cela impose que la dissuasion puisse être mise en œuvre à tout moment et en toutes circonstances, au moyen d’un commandement unique et efficace, ce qui exclut tout comité ou instance collégiale. Les armes de l’OTAN sont ainsi sous le seul commandement américain en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique et même en Turquie !
La dissuasion française restera donc évidemment sous unique commandement français. En revanche, et comme nombre d’observateurs européens l’ont souhaité et moi-même à plusieurs reprises, le président français, celui qui décide in fine que des « intérêts vitaux » justifient le déclenchement de la dissuasion, a affirmé que « les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne », en rappelant la « solidarité inébranlable » de la France à l’égard de ses partenaires européens. Les Etats membres de l’Union sont donc directement interpelés et au premier rang d’entre eux, l’Allemagne.
Dans le droit fil de ses prédécesseurs, et tout en rappelant son indéfectible attachement à la coalition de démocraties qu’est l’Alliance atlantique, il tend une nouvelle fois la main à ses partenaires. Seront-ils plus enclins à lui faire confiance qu’à accorder en cette matière vitale, un blanc-seing à leur grand allié lointain dont les préoccupations sont souvent ailleurs? Verront-ils enfin l’urgente nécessité de bâtir progressivement une autonomie stratégique européenne, qui ne renie rien de nos alliances, mais protège mieux nos intérêts ?
Il n’y aura pas avant longtemps d’autre puissance continentale en Europe capable de contribuer comme la France et sa dissuasion à la sécurité du continent. Face à la montée des menaces et aux déstabilisations à ses frontières, l’Europe a besoin de la dimension nucléaire, ultime garantie de sa sécurité. Cette fois-ci, les Européens devront donc choisir: Trump ou Macron ?