Le refus, le 6 février, de la fusion Alstom-Siemens par la Commission européenne a suscité la colère des gouvernements allemand et français, bien que salué par les syndicats d’Alstom et les habituels eurosceptiques. Difficile de s’y retrouver !
Les règles européennes de concurrence datent du siècle dernier, au moins dans leur inspiration. Parfaitement adaptées à l’économie du continent, elles ont permis de la moderniser, de l’ouvrir, de la décloisonner et de la renforcer. Elles ont fonctionné et les consommateurs européens en ont beaucoup profité.
Sont-elles encore adaptées au monde tel qu’il est, c’est-à-dire à cette compétition pour l’hégémonie que se livrent les grandes puissances qui utilisent tous les moyens à leur disposition pour terrasser leur compétiteur ?
L’Europe a plus que son mot à dire dans cette course au leadership. Si son ambition est de demeurer dans le trio de tête des plus grands à la fin de ce siècle, elle doit changer de logiciel. Sa seule vraie priorité doit être d’assurer toute sa place sur la scène mondiale. Son droit et ses procédures doivent devenir des armes pour atteindre cet objectif.
Concrètement il lui faut alors revoir ses règles de concurrence pour juger des concentrations en fonction de la concurrence mondiale, conduire une politique commerciale basée systématiquement sur le concept de réciprocité, s’organiser pour protéger ses technologies et instaurer une préférence européenne pour les achats publics, comme partout dans le monde.
Ce n’est pas un secret de dire que ces recommandations ne font pas l’unanimité au sein de l’Union. Deux traditions s’y affrontent. L’une, plus commerçante et mercantile, considère que la petite taille de l’Europe l’oblige à se rallier à l’un des camps en présence et que, de toutes façons, elle n’a pas vocation à intervenir dans le jeu des acteurs économiques qui détermineront seuls les rapports de forces de demain. Elle peut s’appuyer sur ses succès à l’exportation.
L’autre, plus interventionniste, estime que l’utilisation des moyens publics, fut-ce au prix de monopoles étatiques, a permis des succès remarquables, scientifiques ou politiques. Elle peut arguer de l’existence d’une Europe spatiale, de l’excellence de sa recherche médicale, de la place de la création dans la société européenne et d’une ambition : la construction européenne n’est plus seulement un projet pour le continent, mais aussi un projet pour la planète.
Sont-elles conciliables ? Peu à peu les Européens prennent conscience que la survie du continent est désormais en cause. Le débat doit s’ouvrir entre les Etats membres parce que cette ambition et ces outils nécessitent une modification des traités et donc peut-être aussi une nouvelle Europe. Il ne sert à rien, en effet, d’accuser les institutions communes. Il vaudrait mieux se convaincre entre partenaires et, si ce n’est pas à 27, de trouver les voies et moyens d’avancer quand même.