Les fresques des cloitres de Santa Maria Novella ont-elles inspiré Theresa May? Le discours sur le Brexit qu’elle y a prononcé ce 22 septembre à Florence, marquait incontestablement un changement de ton et laissait entrevoir une nouvelle attitude britannique dans les négociations ouvertes avec Michel Barnier au nom de l’Union européenne.
Inquiète des premiers effets anticipés d’une sortie de l’Union européenne sur l’économie britannique, la Première ministre a ouvert la porte à certains compromis tout en restant figée sur l’issue finale. Pour tenter d’apprécier l’exercice, il faut lire ses propos entre les lignes et les rapprocher des principales divergences apparues lors des négociations:
Les citoyens européens installés au Royaume-Uni se verraient offrir les mêmes garanties qu’aujourd’hui par une loi spécifique reprenant la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union, s’imposant aux tribunaux britanniques
Le Royaume-Uni est désormais prêt à payer, non seulement ses obligations, mais aussi pendant une période transitoire pour garder l’accès au marché unique, et même au-delà pour les généreux programmes qui concernent l’éducation, la recherche, la science, les programmes européens de défense et de sécurité. Voila qui garantit la bonne fin du budget européen en cours jusqu’à 2020 et laisse entrevoir sa participation financière à plusieurs programmes d’intérêt commun, après le Brexit.
Les Britanniques réclament une période de transition de deux ans après mars 2019 pour éviter les effets néfastes de leur sortie de l’union douanière, mettant ainsi en évidence l’importance du marché unique dont ils souhaitent manifestement faire partie le plus longtemps possible.
T. May propose en outre un accord sur la sécurité, qui pourrait être opportun pour améliorer la lutte contre le terrorisme, mais qui impliquera la participation de son pays à Europol, Eurojust, l’Agence européenne de défense, etc.
Enfin, elle estime que la définition des relations futures entre les deux ensembles peut maintenant commencer, les négociations ayant suffisamment avancé, ce qui n’est pas l’avis de l’Union.
Car elle demeure figée sur l’issue finale - une véritable séparation - s’inquiète comme beaucoup de ses conséquences et réclame un statut particulier pour le Royaume-Uni. Or, celui-ci paraît extrêmement difficile à imaginer techniquement. Ne voulant ni du statut de la Suisse ni de celui de la Norvège, elle imagine que l’importance de son pays lui permet d’en appeler à la « créativité » de l’Union européenne pour lui proposer une fois de plus quelque chose de spécial.
C’est peut-être là qu’apparaît le plus grand fossé entre les visions britannique et européenne. L’Union européenne est un ensemble politique, inscrit dans des traités qui ont créé un droit spécifique qui n’est ni le droit commun international ni le droit national des Etats membres. En faire partie implique la reconnaissance du droit européen, ne pas y appartenir renvoie au droit international général. On ne peut pas à la fois jouer sur les deux tableaux, notamment en ce qui concerne l’interprétation du droit européen, qui ne saurait relever que des instances communautaires. Si l’on veut traiter avec l’Union, on applique ses règles. Et c’est essentiel pour la sécurité comme pour la santé des consommateurs, le statut des citoyens ou la régulation financière. Accepter des exceptions affaiblirait en interne une protection juridique des citoyens européens parmi les plus abouties au monde et susciterait de surcroît des demandes reconventionnelles de la part des Etats tiers avec lesquels l’Union a passé des accords.
Ces propositions traduisent néanmoins une attitude nouvelle. Elles doivent maintenant être concrétisées sous forme de propositions dans les négociations qui reprennent le 25 septembre, ce qui n’a pas été le cas jusqu’ici. Elles révèlent un embarras et vraisemblablement l’inquiétude des Britanniques, qui s’exprime de plus en plus ouvertement. Elles portent en elles aussi beaucoup de contradictions. T.May n’a-t-elle pas osé dans son discours: « Quand nous sommes ensemble, nous faisons de grandes choses »?
Certes! Alors pourquoi se quitter?
Pour respecter à la lettre l’opinion des citoyens britanniques, de plus en plus divisés? La grandeur des dirigeants n’est-elle pas d’abord de préserver l’intérêt supérieur de leur nation, quelles que soient les circonstances et les humeurs? Jean-Jacques Rousseau, pourtant chantre de la démocratie directe, avait déjà identifié cette difficulté en écrivant: « le peuple a toujours raison même s’il est parfois mal inspiré ». Il est difficile de revenir sur un vote populaire, mais il est possible d’expliquer qu’on peut le traduire de différentes manières. Pour cela, il faut s’élever au plus niveau du devoir d’Etat et ne pas en rester à celui de son parti! Theresa May semble avoir fait un tout petit pas dans cette direction. Encore un effort!