Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, est un homme d'expérience. Ministre à 27 ans, il a occupé presque toutes les plus hautes fonctions européennes. Il fait pourtant preuve d'une jeunesse d'esprit surprenante. Devant le Parlement européen, il a prononcé ce 13 septembre, comme chaque année, son discours sur l'état de l'Union. Les Européens seraient bien inspirés de le lire avec attention.
Car il marque à la fois de nouvelles orientation de l'action des institutions communes, une véritable ambition réaliste pour l'Europe et une vraie vision de son avenir.
Adoptant le slogan: « une Europe qui protège, qui assiste et qui défend », il rappelle quelques vérités oubliées: depuis deux ans la croissance européenne est supérieure à celle des Etats-Unis, au dessus de 2%, le chômage est partout en recul et 235 millions d'Européens ont un emploi, chiffre record. Depuis 2014, 8 millions d'emplois ont été créés. Son plan d'investissement a mobilisé 225 milliards qui ont bénéficié à 445 000 PME et à 270 projets d'infrastructures. Les déficits publics sont partout en recul et s'établissent à la moyenne de 1,6% du PIB.
10 ans après la crise, l'Europe a rebondi et, malgré de fortes disparités nationales, elle a le vent en poupe. Même les sujets les plus délicats, comme celui des réfugiés, ont affiché des débuts de résultats prometteurs. L'arrivée de naufragés sur nos côtes a diminué du fait des actions communes, réduite de 97% en Méditerranée orientale et de 81% en Méditerranée occidentale.
La Commission européenne, sous son impulsion, a incontestablement adopté une attitude plus « politique, plus intelligente », réduisant ses propositions de régulation à 25 là où elle en produisait plus d'une centaine par an, conditionnant son aide extérieure à la collaboration active des pays de transit des migrants, faisant preuve de souplesse et de solidarité avec les pays en difficulté.
Mais Jean-Claude Juncker est aussi un ancien chef de gouvernement et il sait que rien ne peut réussir en Europe sans les Etats membres et leurs citoyens.
Ses propositions sont pragmatiques et réalistes. Exigeant la réciprocité dans les accords commerciaux, il marque une rupture avec une pratique systématique d'ouverture un peu naïve au commerce international. Désormais les négociations de la Commission, au nom des Etats, seront totalement transparentes et devront inclure les dimensions sociales et environnementales. Des discussions vont s'engager avec de nouveaux partenaires, comme l'Australie et la Nouvelle Zélande.
Les investissements étrangers en Europe feront l'objet d'une surveillance dans les secteurs stratégiques que les Etats voudront protéger. Une véritable stratégie industrielle européenne s'ébauche. Elle était réclamée depuis longtemps. Les secteurs du numérique et de l'énergie, fondamentaux pour l'autonomie de l'Europe seront prioritaires. L'harmonisation sociale fait sa rentrée dans l'agenda européen avec des propositions concrètes et immédiates.
Enfin sa vision de l'avenir devrait convenir à beaucoup. La refonte des traités n'est pas une priorité mais un moyen, la parole sur l'Europe doit être libérée et il adhère au souhait du président français d'organiser des conventions démocratiques partout où les citoyens le voudront.
Mettant l'accent sur la diversité culturelle, c'est-à-dire le respect des identités, il se montre néanmoins inflexible sur les trois principes de liberté, égalité et les exigences de l'Etat de droit. Quelques uns y trouveront une pierre dans leur jardin et un rappel bienvenu. Hostile par principe aux « usines à gaz » dont les 28 ont le secret, il propose que la fiscalité et la politique étrangère commune soient facilitées par une pratique différente des traités. Nombre d'objectifs plus lointains sont suggérés pour conforter l'euro, renforcer la lutte contre le terrorisme et la cybercriminalité, la surveillance des frontières, le respect d'un socle de normes sociales.
On aurait donc tort de lire ce discours à travers le prisme de la seule politique intérieure des Etats membres ou de leurs relations en termes de rapports de force.
Jean-Claude Juncker doit faire plaisir à Emmanuel Macron puisque ses propositions rejoignent les siennes, comme jamais. Elles devraient aussi satisfaire les Allemands, dont la campagne électorale a confirmé le consensus politique national en faveur de l'Union européenne et l'on attend avec impatience de voir comment la Chancelière Merkel saura traduire cela sur la scène européenne.
Bien sûr, cet ambitieux programme devra être mis en oeuvre et des nuances apparaitront, qui feront l'objet d'âpres négociations diplomatiques. Mais, s'il apparaîtra des différences sur les moyens à mettre en oeuvre, les objectifs sont d'ores et déjà communs: défendre, protéger et promouvoir l'Europe, la démocratiser, mettre l'accent sur la culture et l'identité.
Désormais une relance européenne est bien en cours; le trio Paris-Berlin-Bruxelles semble bien aligné; il peut compter sur de nombreux autres partenaires. Le vent est de retour dans les voiles européennes.