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Europe : la désertion des élites

Article paru dans La Croix du 29 mai 2015


On a coutume d’affirmer que l’Union européenne n’est pas populaire et d’expliquer ainsi la montée de l’europhobie.

Au contraire de ce lieu commun, je ne crains pas d’écrire que l’intégration européenne souffre en réalité d’une désertion de ses élites politiques, intellectuelles, voire économiques. Dix ans après le NON français à une Constitution européenne qui avait le mérite de mettre au clair brillamment les compétences respectives des institutions communes et des Etats membres, le divorce profond qu’il a illustré, entre les dirigeants et les citoyens, s’est aggravé.
Quelles que soient les difficultés, les citoyens européens demeurent attachés à l’Union européenne. Les Grecs veulent majoritairement rester dans l’euro, les Européens veulent à 80% une armée européenne, et dès qu’un problème difficile surgit, le cœur des responsables réclame une Europe plus active.

Les peuples de notre continent ont appris de l’histoire. Ils veulent la paix et la stabilité. Ils s’étaient habitués à une prospérité toujours accrue, dopée par l’intégration. Ils manifestent leur protestation par des votes extrêmes qui interpellent d’abord les grands partis de gouvernement, jugés incapables de maîtriser le monde nouveau. Immigration, sécurité, croissance, autant de sujets d’insatisfaction qui mettent en évidence l’urgence de solutions communes pendant que les gouvernements nationaux continuent à faire semblant d’être en mesure d’y répondre, seuls, de leurs capitales !


La difficile question migratoire, compétence nationale et non européenne, en est un exemple patent : lorsque la Commission européenne propose de jeter les bases d’une politique commune pour faire face à la plus forte pression exercée sur nos frontières depuis bien longtemps, les gouvernements jaloux de leurs prérogatives, répondent sur la méthode et non sur le fond. Et quid des réfugiés qui continuent à submerger quelques Etats membres ? Depuis l’euro, faute de leadership, n’a été proposée aucune avancée européenne qui conforte le processus d’intégration. La crise des dettes publiques est venue démontrer l’ampleur de ce manque et il a fallu dans l’urgence pallier quelques unes des carences les plus manifestes.


Pour sortir de cette immobilisme, les recettes sont connues : il appartient de relancer l’intégration par l’exemple. Et l’on pense naturellement à la France et à l’Allemagne. Une initiative commune rapprochant progressivement les fiscalités et les régimes sociaux permettraient aux citoyens de mesurer les progrès accomplis en garantissant un modèle social mis à mal par la crise et les divisions. Elle limiterait les « errements nationaux » en la matière et valoriserait la force d’une Europe en construction.


Car la principale leçon à tirer du référendum de 2005, c’est que la politique exige l’engagement de ses responsables dans le long terme et pour l’intérêt général. La tyrannie de l’immédiat, de la réaction plutôt que de l’action, du suivisme plutôt que du courage, s’accommode mal avec un projet aussi ambitieux que celui d’unifier le continent dans le respect de sa diversité. Il concerne plusieurs générations, il transcende les clivages politiques et il nous confronte en permanence avec notre histoire. Alors, certes, il est humain et donc perfectible, il entraîne des erreurs et contient des défauts. Mais il nous dépasse comme a été dépassé le NON français, moment de colère dont on ne sait toujours pas s’il était adressé à la mondialisation, au libéralisme, au gouvernement, à l’avenir redouté ou aux institutions européennes, s’il concernait la peur de changer, de perdre des avantages ou tout simplement la volonté de s’exprimer librement. Ce qui est certain c’est qu’il exprimait le manque d’une vision claire proposée aux électeurs par des leaders engagés. Ses conséquences ont douché ceux d’entre eux qui en étaient tenté. Elles ont freiné la construction européenne et ont produit nombre d’effets paralysants.


Les Européens sont dans l’attente d’un projet mobilisateur pour le continent, une ambition qui les assure de demeurer aux tout premiers rangs parmi les grandes puissances mondiales. Qui osera ?


 



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