L’une des plus spectaculaire réussite de l’Union européenne, c’est son agrandissement, improprement appelé élargissement.
Réunifier le continent pacifiquement, sans déséquilibres majeurs, ni politiques ni économiques, c’était une gageure. De la Chine aux confins de l’Amérique latine, des Etats-Unis à l’Afrique, les observateurs le constatent tous et s’en émerveillent. L’Europe est un modèle envié.
Pourtant, chez nous, « l’élargissement » est devenu un thème anxiogène récurrent :
« L’Europe a changé de nature, il lui faut des frontières, on ne peut pas continuer comme cela, les institutions ne fonctionnent pas, etc… »
Certes, la candidature de la Turquie a poussé cette politique réussie jusqu’à l’absurde idée d’envisager de sortir du continent. Cela pose, à l’évidence, la question des limites de l’Europe, qu’il va falloir trancher. Et la diffusion du modèle européen doit aussi prendre d’autres formes que l’adhésion.
Mais cela ne doit pas occulter les réussites de l’expansion de l’Europe :
- Progrès de l’Etat de droit, de la Démocratie et des Droits de l’Homme. La réunification de l’Europe s’est faite au profit des peuples contre la logique des blocs et des puissances. Des centaines de millions d’êtres humains nous en sont reconnaissants.
- Extension du marché européen devenu le 1er du monde avec 456 millions d’habitants. Le 1er marché de consommation où le niveau de vie est si élevé.
- Renforcement de l’Europe et de son poids dans le monde. Ses règles progressent partout, de l’abolition de la peine de mort aux normes économiques. Son influence s’accroît avec l’avancée de la résolution pacifique des conflits et la société internationale à la recherche de codes de conduite acceptables par tous, y trouve un modèle dans nombre de domaines. Son droit s’impose, ses pratiques sont copiées.
- Irruption de l’Europe sur la scène mondiale. L’Union intervient partout, est le premier donateur d’aide au développement, participe aux actions humanitaires et au rétablissement de la paix quand c’est nécessaire. L’Union européenne est un acteur mondial sans qu’il ne lui soit nécessaire de déployer un arsenal de chars et de canons. On peut dire que plus d’1,5 milliard de citoyens du monde vivent sous son influence ou en l’acceptant comme modèle (Continent européen, Afrique, Amérique latine, Asie centrale). Justement parce que son influence n’est pas militaire et qu’elle n’incarne pas la puissance par la force, mais la force du droit.
Si cette expansion très rapide pose des questions justifiées sur le papier (jusqu’où, avec qui, pourquoi, comment ?), il ne faut pourtant pas « jeter le bébé avec l’eau du bain » :
- La question institutionnelle n’est pas posée d’abord par l’élargissement. Il n’y a pas d’exemple où les nouveaux adhérents auraient empêché l’Union de décider.
- Ce sont plutôt les plus anciens Etats membres qui rencontrent des difficultés à s’adapter au monde nouveau, tellement ils ont pris l’habitude de vivre dans un doux cocon.
- C’est nous qui avons manqué d’imagination et de courage en n’accélérant pas l’intégration quand c’était plus facile, notamment dans les domaines de la sécurité au sens large, du contrôle des frontières à la défense commune.
- Nous avons manqué de réaction alors que le monde s’ouvrait et nous constatons que l’ouverture exige de nous retrousser les manches. Sans voir que nous avons tous les atouts en main pour peu que nous valorisions nos talents.
- Il ne faut pas opposer approfondissement et élargissement. L’expansion de l’Europe constitue déjà un approfondissement du projet européen lui-même.
En réalité, après plus de 55 ans de succès marqués par l’expansion, l’Europe doit franchir de nouvelles étapes. Elle n’a pas à rougir de ce qui a été fait, ni de ce qu’elle est, bien au contraire.
Mais elle doit répondre à de nouveaux défis, comme tous les acteurs de ce village planétaire. A 27, ils seront plus faciles à relever que tout seuls. C’est une certitude. Alors, il n’y a aucune raison de s’abandonner à cette « grosse fatigue » en stigmatisant sans cesse l’expansion de l’Europe comme une menace évidente. Car ces critiques un peu faciles, souvent à usage de politique intérieure, portent sur des Etats composés d’hommes et de femmes qui nous regardent. De plus en plus comme des animaux bizarres ou, pire, des enfants gâtés.