La grève de certains services publics en Allemagne et les défilés à répétition en France, cachent la réalité d’une Europe qui s’abandonne dans les délices d’une croissance économique qu’elle ne connaît plus. La situation de nos économies est beaucoup plus grave que nous voulons bien le dire. Nous sommes en panne de croissance depuis maintenant plus de 15 ans.
Or, aux fondements de l’économie de marché, il y a la croissance.
Elle est le moteur des économies libres. Elle conditionne le progrès, détermine la hausse du niveau de vie, la création et le renouvellement de l’activité, donc de l’emploi. Elle est la condition nécessaire du succès dans une économie mondialisée puisqu’elle attire les capitaux, et fixe la richesse sur les territoires les plus dynamiques.
Or l’Europe, après avoir bénéficié pendant 30 ans de l’unification du continent et de son intégration, semble avoir raté le virage de la mondialisation.
En 2005, la croissance de l’UE a été 7 fois moins importante que celle de la Chine, 5 fois moins que celle de l’Inde, 3 fois moins que la croissance américaine.
Si les prévisions semblent meilleures en 2006, elle s’établirait quand même à 4 fois moins que celle de la Chine, 3 fois moins que celle de l’Inde, 2 fois moins que celle des USA.
Certes ces chiffres cachent des situations contrastées au sein de l’Europe elle-même et il faut se réjouir des 10% de croissance de la Lettonie en 2005, des 5% de l’Irlande et des 3,4% de l’Espagne.
Il n’en demeure pas moins que la croissance semble avoir fui l’Europe et que les conséquences en sont le recul de nos parts de marché, la diminution de notre poids dans le monde et la stagnation de notre niveau de vie. A la fin des années 80, une famille pouvait espérer doubler son niveau de vie en une génération. Il en faut désormais trois. Notre niveau de vie a cessé de progresser. Si nous continuons ainsi, il va régresser.
Les causes de cette situation sont largement connues :
Une situation démographique catastrophique. Des 456 millions d’Européens, il ne restera, au rythme actuel, que 396 millions d’habitants en 2050. En 45 ans, l’Europe perdra 50 millions de têtes et 100 millions de bras pour produire.
Le recul du travail. Bien sûr du temps de travail. Selon Edward Prescott, Prix Nobel d’économie 2004, « sur l’ensemble d’une vie active, au total, un Français travaille deux fois moins qu’un Américain ». Mais aussi le recul de la valeur travail qui est à la base, avec le capital, de la production. Il ne sert à rien de nous réjouir de notre productivité au travail. Si on travaille de moins en moins, le produit final demeurera toujours insuffisant.
Des économies structurées sur des bases nationales et visant l’exportation lointaine plutôt que la conquête d’une arrière-cour, qui, en Europe, s’appelle le marché intérieur. L’Allemagne a battu en 2005 son record d’excédent commercial (150 milliards €) mais doit se contenter d’une croissance de 1%.
Une politique économique européenne commune qui n’existe pas. Les objectifs de Lisbonne sont renvoyés, pour leur application, aux Etats membres. Tout le monde se tourne vers la Banque Centrale Européenne, mais la question n’est pas monétaire, elle est économique. On interpelle la Commission européenne mais les gouvernements lui refusent un budget digne de ce nom. Le budget de l’Europe n’est encore que de 1% de la richesse européenne !
Enfin l’attractivité des territoires européens. C’est la question des réformes. Les Etats membres semblent incapables de s’adapter rapidement à l’économie mondiale et préfèrent se replier sur les droits acquis au nom des conquêtes sociales et contre l’évidence. La conséquence en est simple : Pourquoi une entreprise choisirait de s’implanter sur un territoire où les impôts sont les plus élevés, les salaires les plus lourds, la réglementation la plus contraignante ? La France se distingue une fois de plus par ses blocages, mais elle n’est pas la seule dans ce cas en Europe.
L’urgence est donc de corriger la situation actuelle.
Les recettes aussi sont connues : travailler plus, redonner du dynamisme à l’économie, c’est-à-dire ne pas se figer sur la protection des emplois existants mais se préoccuper d’abord des conditions de la création des emplois d’avenir. Or, on le voit en France aujourd’hui, ceux qui ont un travail estiment qu’il faut tout faire pour le garder, au détriment de ceux qui n’en ont pas, notamment les plus jeunes. Ils confondent ainsi acquis sociaux et privilèges. En rendant plus fluide le marché du travail, plus flexibles les conditions d’embauche, on donne sa chance à chacun. Les réformes du marché du travail sont donc indispensables au retour de la croissance, c’est-à-dire à l’accroissement de la richesse et du niveau de vie des Européens.
Les difficultés rencontrées en France et en Allemagne à propos de simples modifications marginales du droit du travail, qui vont dans le bon sens (en Allemagne, travailler 18 minutes de plus par jour, en France inciter les entreprises à embaucher des jeunes), semblent indiquer que les pays d’Europe ne sont pas prêts au sursaut nécessaire. Et pourtant, avons-nous le choix ?
Mais ces efforts ne doivent pas rester nationaux, au risque d’être vains et solitaires. Ils doivent s’inscrire dans une nouvelle politique économique européenne, que les Etats membres doivent inventer.
Ils doivent accepter d’investir massivement dans la formation, notamment dans l’enseignement supérieur et dans la recherche ; dans ces technologies devenues indispensables à la croissance.
Ils doivent accepter de partager des décisions de politique économique qui n’ont plus grand sens au seul niveau national. A quoi cela rime-t-il de décider chacun dans son coin en regardant les nations émergentes nous rattraper, comme l’a déjà fait pour la Chine, puis nous dépasser, parce que nous n’avons pas la taille suffisante pour affronter ce nouveau monde globalisé. On le voit pour l’énergie : seuls nous pesons peu, unis et solidaires nous sommes incontournables.
Ils doivent tout mettre en œuvre pour achever le marché intérieur européen. Pour en tirer tous les avantages, il faut le libéraliser davantage, aller plus loin dans l’effacement des frontières, dans les services bien sûr, mais aussi en levant les obstacles aux échanges de personnes et de marchandises qui demeurent nos pires ennemis.
Retrouver la croissance, c’est donc d’abord retrouver le courage d’assumer publiquement la gravité de la situation, puis de proposer une mobilisation exceptionnelle pour nous réformer. Les citoyens sont capables de comprendre tout cela ; ils attendent même qu’on s’adresse ainsi à eux. Il n’est que temps.