Le 1er janvier Gazprom a décidé de suspendre ses livraisons à l'Ukraine, qui ne se serait pas acquittée de toutes ses dettes à son égard et aurait marqué son désaccord avec les prix proposés pour le reconduire. Le 5 janvier, prétextant que celle-ci utilisait pour ses besoins une partie du gaz destiné, via l'Ukraine, aux pays de l'Union européenne, le Premier ministre russe, Vladimir Poutine, demandait à Gazprom de réduire ses livraisons vers l'Europe. Une nouvelle crise du gaz s'ouvrait, comme celle qui avait alarmé les pays européens en 2006. D'abord tranquillisée par des stocks importants, l'Union européenne renvoyait les plaideurs à ce qu'elle considérait comme un différend commercial. Mais l'impact sur ceux de ses membres les plus à l'Est l'oblige désormais à agir. Il est trop tôt pour pouvoir tirer les leçons d'une crise en cours, mais trois premières certitudes semblent pourtant se dégager.
D'abord concernant son partenaire russe.
Son comportement de soudard est plus conforme à l'époque bolchévique qu'au 21ème siècle. Comme d'habitude, face à un problème, qui ne saurait être nié, la méthode russe consiste à choisir la force plutôt que la négociation et un comportement civilisé. Aucun acteur économique normal ne se comporte ainsi en coupant l'approvisionnement de ses premiers clients, ceux-là même qui lui fournissent près de 70% de ses recettes budgétaires. Au demeurant, la volonté européenne, de renouer le dialogue avec la Russie, malgré la guerre russo-géorgienne,n'a pas compté pour Moscou qui continue à caresser des rêves de revanche inexplicables dans sa difficile situation économique. Gazprom, la société nationale, endettée de plus de 60 milliards de dollars, s'est révélée être ce qu'elle tente de cacher par tous moyens, y compris l'emploi coûteux de lobbyistes à Bruxelles, Londres et Washington, un pilier à part entière du système autoritaire désormais durable en Russie, le bras armé d'une politique d'acquisition des infrastructures énergétiques qui dépasse de loin ses seules capacités. Elle n'est pas un acteur économique normal. La Russie, perturbée, instable, traversée de courants nationalistes d'un autre âge, n'est pas un partenaire fiable. Il appartient à l'Union européenne d'en tirer toutes les conséquences, spécialement dans les négociations qu'elle entreprend avec elle. L'Union n'est pas sans force ni atouts. Elle doit davantage montrer ses muscles.
S'agissant de l'Ukraine, avec qui l'Union européenne vient de signer un accord de partenariat stratégique, la situation est à peine meilleure même si elle est, en l'occurence, une nouvelle fois la victime du cynisme russe. La confusion politique qui règne au sommet de l'Etat la conduit en même temps à s'opposer à la Russie en des termes violents et inutiles et à pactiser avec ses corrupteurs dans d'obscurs procédures financières qui prolifèrent dans le domaine énergétique. Elles font certainement la richesse d'intermédiaires douteux, mais aggravent sa vulnérabilité et sa crédibilité. Bénéficiaire d'un plan de redressement du Fonds monétaire international de 16 milliards de dollars, soutenue par l'Europe, éligible aux fonds européens et au partenariat oriental dont l'Union veut la faire profiter, elle demeure confinée dans un comportement infantile.
Les Ukrainiens, dont l'histoire est tragique, qui ont fait pacifiquement la révolution, dont les atouts humains, agricoles et industriels sont réels, méritent mieux que ces jeux politiques internes suicidaires et que cette politique étrangère au rabais.
L'Union doit savoir qu'il y aura désormais et pour longtemps "une question ukrainienne" comme il y eut, au 19ème siècle "une question d'Orient" ou une "question balkanique". Elle a raison de ne plus mettre en avant une perspective d'adhésion tant que ce grand pays n'aura pas démontré qu'il pouvait être à la hauteur de ce qu'en attend l'Europe.
La troisième certitude s'impose à la présidence tchèque, mais aussi à d'autres Etats membres aux sentiments européens un peu timorés.
C'est dans la crise, hélas, qu'on mesure la vanité de l'euroscepticisme et l'inadaptation des discours anti-européens si faciles. Le drapeau européen ne flotte peut-être pas sur le château de Prague, mais tous les intérêts tchèques sont d'abord en Europe et non ailleurs ou dans des proclamations qui jettent le doute sur les politiques de l'Union.
Avec cette crise du gaz, la République tchèque, enclavée au sein de l'Union et sans frontières externes, mesure peut-être mieux l'intérêt d'une politique étrangère et de défense commune. L'Union ne peut plus faire l'économie d'une politique extérieure plus vigoureuse et surtout plus unie. Elle doit aujourd'hui incarner une politique précise, courageuse et ferme à l'égard de la Russie qui aboutisse à des résultats concrets. Ce ne sont pas les mots qui le permettront, ce sont les actes. Il faudra savoir organiser la solidarité des Etats membres dans la crise énergétique tout en traçant une voie diplomatique véritable pour en sortir. Le Premier ministre tchèque est allé jusqu'à affirmer qu'il espérait n'avoir pas pour cela à utiliser "l'option extrême"! On pensait qu'il s'agissait de représailles, de menaces d'interdiction de visas pour les ressortissants russes, d'un contrôle des investissements européens en Russie, d'une suspension des paiements de l'énergie à un partenaire qui ne respecte pas sa parole.... Non, il pensait à un sommet tripartite Union-Russie-Ukraine! La menace a dû faire trembler...
A force de ne pas penser l'Union européenne comme une puissance et de lui en refuser même la perspective, on en vient à des extrémités qui n'en sont pas... Dans le monde multipolaire, mais encore très unilatéral que nous observons, l'Union n'a pas d'alternative. Elle doit peu à peu s'accepter en acteur majeur de l'économie et de la politique mondiale.
Il est bon qu'un nouvel Etat membre, d'une taille modeste, en fasse l'expérience. Elle vaut pour tous ceux qui ne verraient dans la construction européenne qu'une ONU régionale sans autre intérêt qu'économique, une "Europe-libre service" qui distribue ses crédits mais ne se mêle pas de politique.
C'est le contraire qui est aujourd'hui nécessaire.
L'Union européenne doit faire de la politique sur la scène internationale. Pour cela elle doit s'en donner les moyens, y compris militaires. Elle doit être plus ferme et, surtout, être chaque jour plus unie.