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portrait

Une présidence réussie

Bilan de la présidence française du Conseil de l’Union européenne

Article à paraître dans la Lettre de la Fondation Robert Schuman le 15 décembre 2008






La France a beaucoup investi dans sa 12ème présidence du Conseil de l’Union européenne. Elle l’a préparée avec soin et a mené à bien la réalisation du programme qu’elle s’était fixé. Mais c’est sa gestion des crises internationales qui a été le plus saluée. Elle a révélé une pratique nouvelle des institutions européennes et une vision de l’Europe dans le monde qu’elle a tentée de faire partager.






Un engagement politique très fort






La présidence française a fait l’objet d’un engagement politique très fort de la part des plus hautes autorités françaises et d’une médiatisation réussie. Dans le pays du Non à la Constitution européenne, elles ont manifestement voulu saisir cette opportunité pour contribuer à rapprocher les Français et l’Europe. Pour la première fois les bâtiments publics ont arboré les couleurs de l’Union et la Tour Eiffel elle-même n’a pas résisté au déferlement du bleu européen ! Plus de 117 colloques et conférences , de 4000 rencontres  ont été organisés dans le pays, à Paris comme en province. L’ensemble des services de l’Etat a été mobilisé. L’impulsion est d’abord venue de la Présidence de la République, appuyée sur des services expérimentés qui ont géré une lourde tâche avec efficacité. La consultation des 27 Etats membres a été réalisée avec un grand professionnalisme. Le réseau diplomatique français, le deuxième au monde, a été sollicité avec succès : 8 Sommets à très haut niveau avec des pays tiers ont eu lieu pendant ces 6 mois : Union pour la Méditerranée, Ukraine, Afrique du Sud, Inde, Canada, ASEM, Brésil, Russie. Trois Conseils européens  et deux réunions informelles des Chefs d’Etat et de gouvernement ont été organisés. La diplomatie et la politique françaises se sont mises aux couleurs de l’Europe comme jamais auparavant.


Dès le début 2008 était rendu public un ambitieux programme de travail et quatre priorités politiques étaient affichées : l’adoption d’un Pacte européen de l’immigration, un accord sur la politique européenne relative au climat, la mise en place d’une politique européenne de défense, un accord sur le bilan de santé de la Politique agricole commune. Ils relevaient à la fois d’un apport français spécifique (PAC et  défense notamment) et de sujets déjà inscrits à l’agenda européen (paquet énergie / climat et immigration). Présider l’Union, c’est aussi assurer la continuité des procédures législatives en cours. Le programme de travail de la présidence couvrait donc aussi des domaines plus vastes qui allaient des politiques sociales et de l’emploi à la sécurité maritime et à la compétitivité.

A ces dossiers s’ajoutaient l’Union pour la Méditerranée que le Président français souhaitait lancer de manière officielle et l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne
qui devait permettre de désigner les personnalités choisies pour exercer les nouvelles fonctions qu’il institue.


Cet agenda allait être bousculé par trois crises majeures.

Le 12 juin, quelques jours avant l’entrée en fonction de la nouvelle Présidence, les Irlandais rejetaient le Traité de Lisbonne. Le 8 août les troupes russes pénétraient
en Ossétie du Sud. Le 15 septembre la banque américaine Lehman Brothers était déclarée en faillite.


La Présidence française a donc dû faire face aux conséquences du « non » irlandais, qui retardait la réforme institutionnelle après laquelle l’Union court depuis près de 10 ans.

Le Président de l’Union a mené une mission de médiation réussie entre Moscou et Tbilissi. Il est parvenu à faire stopper les combats. Un Conseil européen
extraordinaire a ratifié le 1er septembre l’accord négocié par Nicolas Sarkozy entre les protagonistes de la crise russo-géorgienne le 12 août; les négociations d’un Accord de partenariat et de coopération avec la Russie, un moment interrompues, ont repris.


Pour réagir à la crise financière, Nicolas Sarkozy a réuni le 4 octobre à Paris les pays européens membres du G8 ,  puis les Chefs d’Etat et de gouvernement de la zone Euro avec le Royaume-Uni, la Slovaquie   et les présidents de la Banque Centrale européenne et de la Commission européenne. Ils ont décidé de mesures de sauvegarde du système financier et se sont accordés sur des garanties minimales des dépôts bancaires.

Nicolas Sarkozy a obtenu des décisions rapides et efficaces, qui marquent un véritable changement des pratiques européennes. Il s’est engagé personnellement dans
la recherche de solutions communes pour tous les sujets. La Présidence du Conseil de l’UE ne peut plus être résumée à une fonction administrative et logistique. On en attend désormais une méthode d’impulsion et des décisions politiques.






Une méthode controversée mais efficace






Nicolas Sarkozy pense que la construction européenne, ce n’est déjà plus de la diplomatie, même si ce n’est pas encore à l’évidence de la politique intérieure ; mais c’est, pour lui, de la politique et il souhaite « politiser l’Europe ». Pendant ces six mois de présidence, il aura eu l’occasion de montrer ce qu’il entend par là. Le Président français n’a pas hésité à bousculer les canons de la politique européenne en multipliant, avant la présidence française, les prises de position fermes, voire provocatrices, pour ouvrir des débats qui, selon lui, doivent être publics, instaurant un rapport de force avec ses partenaires européens. Son style personnel a marqué sa présidence. Le président français a critiqué la Banque Centrale européenne pour ne pas vouloir baisser ses taux d’intérêt, s’en est pris au Commissaire au Commerce dans des propos fort critiques (« Pendant que toutes les 30 secondes un enfant meurt de famine dans le monde, M. Mandelson souhaite réduire la production agricole de 21% dans les négociations à l’OMC »). Quelques jours avant la visite de Brian Cowen, le Premier ministre irlandais, suite au « non » référendaire en Irlande, Nicolas Sarkozy déclare que les Irlandais n’ont pas d’autre choix que de revoter. Le Président français aime à bousculer les raisonnements réputés acquis dans les enceintes européennes, pour obliger à des changements de cap. Mais une fois le tabou levé, il montre par tous moyens qu’il connaît et maîtrise les règles du fonctionnement à 27. Il s’est rendu en Irlande le 21 juillet (« Le peuple irlandais s'est prononcé, on doit l'accepter  »). Il a soigné ses relations avec la Commission à qui il n’a pas hésité à rendre visite personnellement et qu’il a associée étroitement à toutes ses initiatives. Il a joué le jeu des institutions. Il a institué un dialogue privilégié avec le Parlement européen. Son président a été associé aux grandes réunions internationales, les présidents des groupes parlementaires ont été consultés et invités à trois reprises à Paris. Le président en exercice de l’Union a participé à trois débats avec le Parlement de Strasbourg. Il y répondu à toutes les questions, lui consacrant un temps qu’aucun Chef d’Etat avant lui n’avait offert à la seule institution européenne élue au suffrage direct, polémiquant même avec certains de ses membres.


Ce style si personnel s’est mué en méthode, appuyé sur la conviction que l’Union européenne « manque de politique », doit acquérir plus de vitesse de réaction face aux bouleversements en cours et doit s’accepter comme acteur mondial. Cette manière de procéder a pu choquer. La presse européenne s’est montrée très critique envers certaines initiatives françaises. Le style a surpris, agacé, dérangé. Dans ses relations avec la Chancelière Angela Merkel, certains ont cru y voir une remise en cause notamment du couple franco-allemand, où se prépare nombre de décisions européennes. Pourtant, rien, dans le concret, ne permet d’accréditer cette thèse. Toutes les décisions européennes d’importance ont fait l’objet d’un accord franco-allemand préalable et les différences exprimées entre les deux pays ont toujours disparu au moment de la décision. Qu’on le veuille ou non, le couple franco-allemand demeure le moteur indispensable aux progrès de l’Europe. Il l’a encore prouvé. Reste aux acteurs à veiller sur leurs opinions publiques qu’il faut toujours rapprocher et ne jamais opposer. De ce point de vue, il aurait été préférable de ne pas afficher publiquement certaines divergences, d’autant plus qu’elles ont été rapidement surmontées par la négociation.

 

Nicolas Sarkozy a appliqué scrupuleusement son programme, évoquant la nécessaire mise en place d’un gouvernement économique devant le Parlement européen le
21 octobre , mais il n’a pas hésité non plus à prendre ses risques. En se rendant en Géorgie et en Russie pour arracher la conclusion d’un cessez-le-feu entre les belligérants, contre toutes les recommandations de prudence, il a sauvé le régime géorgien, renoué avec la Russie tout en maintenant l’unanimité des 27 et permis à l’Union de s’affirmer avec autorité sur la scène internationale.


 


A la recherche d’un leadership européen






Depuis bien longtemps les observateurs réclament un leadership européen. Il est indispensable à la conduite des travaux d’un Conseil de 27 délégations et incontournable dans les relations de l’Union avec le reste du monde. Le rejet du Traité par les Irlandais était une mauvaise nouvelle pour les artisans de ce texte, aux premiers rangs desquels la France et l’Allemagne, mais bien davantage encore pour l’Union toute entière. Elle doit désormais faire face à un nouveau défi eurosceptique qui se matérialisera vraisemblablement par la création d’un parti transnational ouvertement hostile à la construction européenne, à l’occasion des prochaines élections européennes. Nicolas Sarkozy et la présidence française, en liaison avec leurs partenaires, ont tout mis en œuvre pour surmonter l’hostilité personnelle et ponctuelle de personnalités isolées (les présidents tchèque et polonais par exemple) qui ont tenté d’utiliser ce nouveau retard pour remettre en cause le contenu même du nouveau traité. Le président polonais refuse ainsi d’apposer sa signature sur le traité de Lisbonne pourtant ratifié par le Parlement. Le Tchèque Vaclav Klaus multiplie pour sa part les provocations anti-européennes.

Dans le même temps la Suède ratifiait le Traité de Lisbonne le 20 novembre et le Premier ministre tchèque, Mirek Topolanek, donnait des assurances à ses
partenaires, tout en renvoyant le débat au sein de son parlement au 3 février 2009.

Au Conseil européen des 11 et 12 décembre, l’Irlande s’engageait à soumettre une seconde fois le Traité à référendum avant la fin de l’année 2009, obtenant en
contrepartie l’assurance qu’elle disposerait toujours d’un Commissaire européen et que sa neutralité et sa souveraineté en matière fiscale et de moeurs (avortement) seraient garanties. Pour la réforme institutionnelle, la patience du Conseil n’a donc d’égale que son pragmatisme. La présidence française n’a pas dérogé à cette attitude et a facilité une décision « à 27 ».


L’Union parvenait, en outre, pour la première fois, à passer la tête dans la cour des grands de la politique internationale. Elle a réussi une médiation internationale arrêtant le conflit russo-géorgien. C’est un incontestable succès diplomatique qui a mis en évidence la nécessité d’une politique européenne envers la Russie plus élaborée et plus constante, mais aussi celle d’une présence politique et financière plus active dans le voisinage de l’Union. Malgré les divergences d’appréciation, le «Blitzkrieg» de la présidence a démontré que les Européens acceptaient de rester unis pour atteindre un but précis et limité : la cessation durable des combats. Les Etats baltes, la Pologne et certains pays d’Europe centrale, réticents, ont entériné les accords négociés par la présidence française. 

De la même manière, la tenue d’une réunion des pays les plus industrialisés et émergents (G20), réclamée par l’Union, a justifié plusieurs demandes européennes anciennes, élargissant de facto le format (G8) des grands sommets économiques mondiaux traditionnels. Le contenu des décisions arrêtées témoigne d’un poids réel des thèses européennes proposées par la présidence française en matière de transparence des marchés financiers, en ce qui concerne le rôle du Fonds monétaire international et pour les normes comptables.


Les Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Eurogroupe, réunis pour la première fois dans cette formation, ont forgé une décision qui a été prise par les 27 Etats membres au Conseil européen des 15 et 16 octobre. La coordination de la politique économique en Europe est donc possible autour de l’Euro et avec la participation de la Banque Centrale européenne. Cette demande française, longtemps suspectée de cacher une volonté de manipulation politique de la monnaie, s’est révélée efficace en temps de crise et adaptée à des décisions économiques d’importance. Elle apparaît, désormais, légitime.






Des résultats incontestables






L’exposition médiatique de la présidence française ne doit pas occulter les acquis concrets qu’elle a obtenus par la réalisation d’un agenda programmé, qui lui a permis de s’inscrire dans la continuité législative et d’obtenir ainsi des décisions importantes.


L’immigration et l’asile étaient déjà des sujets que les institutions européennes avaient été contraintes de prendre en compte. En juin 2008 le Conseil et le Parlement ont voté la « directive retour » qui réglementait le retour des immigrants illégaux ; la Commission européenne travaille une directive sur l’immigration des travailleurs qualifiés (Blue Card Directive). L’action du Vice-Président de la Commission européenne, le Français Jacques Barrot, a relancé la politique de la Commission en matière d’asile sur des bases plus consensuelles et plus professionnelles.

Le Pacte européen pour l’immigration et l’asile, proposé par la France, constitue une étape supplémentaire vers une plus grande harmonisation de la législation au
niveau européen. Les négociations qu’il impliquait ont débuté plusieurs mois avant le début de la présidence française et le ministre français, Brice Hortefeux, a visité toutes les capitales européennes entre mai et juillet avec un succès incontestable. Approuvé par le Conseil européen du 15 octobre, il comprend cinq engagements des signataires: organiser l’immigration légale et faciliter l’intégration, contrôler l’immigration illégale et organiser le retour au pays des immigrants illégaux, mieux contrôler les frontières, mettre en place une procédure unique d’asile avant 2012, conclure des accords de réadmission avec les pays d’origine des clandestins.








Méditerranée






L’idée de créer une « Union méditerranéenne» est lancée par Nicolas Sarkozy pendant sa campagne pour l’élection présidentielle. Dès son élection, il la transforme en proposition faite à ses partenaires, de remplacer le Processus de Barcelone, (1995) qui n’a pas réussi à organiser des relations étroites entre l’Union européenne et les pays de la rive Sud de la Méditerranée. Dès l’origine, cette initiative suscite une forte réserve, notamment de l’Allemagne, puis elle nourrit des controverses publiques parce qu’elle entre en concurrence avec la construction communautaire. Enfin, la France et l’Allemagne s’accordent pour tenir compte de ces réactions et pour la présenter ensemble au Conseil européen de mars 2008. Les 27 Etats membres de l’UE adhèrent solennellement au projet le 13 juillet en présence de 17 pays de la région. Pour la première fois dans une conférence européenne, les Israéliens et les pays arabes participent, à la même table, à un projet commun. L’Union pour la Méditerranée est formellement lancée. À Marseille  le 4 novembre, ils installent un Secrétariat permanent dont le siège est à Barcelone et conviennent de l’élection parmi les pays méditerranéens d’un secrétaire général et de cinq secrétaires généraux adjoints. La Ligue arabe est associée et la présence simultanée d’Israël et de pays arabes dans les instances dirigeantes est un succès diplomatique de l’Union. La France ne désepère pas d'obtenir de ses partenaires d'en assurer la coprésidence jusqu'en 2010.




Agriculture






Le Conseil Agriculture du 20 novembre a procédé   au « bilan de santé » de la Politique Agricole Commune , prévu de longue date. L’accord s’inscrit dans la continuité de la réforme engagée en 2003 avec le découplage des aides. Les derniers paiements couplés seront supprimés. Le transfert des aides directes vers les actions de développement rural sera augmenté pour atteindre 10 % en 2013. Le gel obligatoire de 10 % des terres est supprimé. Le principe des interventions (achats publics/stockage) est maintenu dans le secteur laitier mais pour des quantités réduites. L’intervention sur les autres produits est supprimée. Le Conseil a, en outre, décidé la distribution de fruits et légumes dans les écoles. La future réforme de la PAC est renvoyée à plus tard. Le cadre juridique et budgétaire reste inchangé. La France a imposé une approche technique qui a permis des améliorations ne remettant pas en cause les fondements de la Politique agricole commune.


 




Défense








La France avait annoncé qu’elle entendait dynamiser la politique de défense européenne. Plusieurs initiatives ont été lancées ou accélérées pendant sa présidence: un rapport complétant et renforçant la Stratégie européenne de Sécurité adoptée en 2003 ; l’opération contre la piraterie en Somalie ; la modernisation des hélicoptères européens et l’entraînement des pilotes ; la mise en place d’une flotte de transport aérien européenne ; la création d’un groupe d’intervention navale et aérienne ; de nouvelles capacités pour le Centre satellitaire européen ; le renforcement du rôle de l’Agence européenne de défense  . Ces initiatives ont donné lieu à une ratification du Conseil européen qui s’est clairement prononcé pour le renforcement des capacités militaires, l’amélioration de la réactivité des forces européennes, la coordination des opérations pour évacuer les citoyens européens des zones de conflit, la contribution des militaires pour la surveillance maritime, la mise en place de formation commune des officiers. L’Union sera capable de déployer 60 000 hommes en 60 jours, de conduire simultanément deux opérations importantes de maintien de la paix, ou deux opérations de réaction rapide et les Etats membres se sont engagés sur d’autres objectifs précis. La défense européenne prend corps. Elle acquiert une réelle crédibilité. 






Changement climatique






L’Union a adopté le principe selon lequel d’ici 2020, elle aura réduit ses émissions de CO2 de 20%, diminué sa consommation d’énergie de 20% et diversifié ses sources énergétiques en atteignant 20% d’énergies renouvelables.

Les industries, qui rejettent chaque année 2 milliards de tonnes de CO2, soit la moitié des émissions totales de l’Union, doivent les réduire de 21%. Pour les y inciter
un système d’achat et d’enchères de « droits à polluer » sera instauré à partir de 2013. Une partie de ces droits sera gratuite, l’autre payante. Un mécanisme de solidarité est instauré au profit des Etats les plus dépendants des énergies « sales », pour les aider à moderniser leur outil de production. Des modalités d’application complexes sont instaurées. Elles sont destinées à « lisser » dans le temps et selon l’exposition à la concurrence, les transformations ainsi exigées de secteurs entiers de l’économie européenne. Elles ont fait l’objet d’âpres négociations lors du Conseil européen de décembre .








Relance économique






 

L’intuition de la présidence française a conduit les institutions européennes à se mobiliser en faveur du soutien à l’économie et d’un plan de relance ambitieux. Les
Etats membres, après concertation, annonçaient des mesures nationales. Le 26 novembre, la Commission européenne rendait public un « plan » de lutte contre la crise économique . Ce document marquait des inflexions majeures par rapport à la ligne habituelle de l’Exécutif européen. Pour la première fois, elle appelait à soutenir la consommation, allant jusqu’à prôner des baisses de TVA, à venir en aide aux plus défavorisés. Elle confirmait la mise entre parenthèse des critères du Pacte de Stabilité et de Croissance et prenait acte du caractère exceptionnel de la crise en cours. Le Conseil européen des 11 et 12 décembre a adopté ce plan de relance modifié, qui consolide à hauteur de 200 milliards € (1,5% du PIB européen), les efforts faits par les Etats membres (170 milliards) et les institutions européennes (30 milliards) pour soutenir l’économie. De longues discussions ont mis en évidence des différences d’appréciation sur les mesures à prendre. Elles ont fait l’objet d’un texte commun, véritable cadre d’action concerté pour guider l’action des Etats qui seuls disposent des ressources budgétaires nécessaires et pour engager des actions communautaires complémentaires.







Continuité législative








De nombreuses décisions importantes ont été prises dans d’autres domaines. Parmi celles-ci, on notera l’adoption d’un budget européen pour 2009 (116,1 milliards € -133,7 en crédits d’engagement), en recul par rapport à 2008 (0,89% du PIB européen), l’instauration d’un « Small Business Act » destiné à soutenir les petites et moyennes entreprises, un plan européen global de lutte contre la contrefaçon et le piratage, des mesures pour favoriser les carrières et la mobilité des chercheurs, de nouveaux financements pour la politique spatiale européenne  (10,5 milliards € pour l’Agence spatiale européenne sur 10 ans).

Le Conseil Justice et Affaires intérieures a adopté des décisions-cadre pour combattre le racisme et la xénophobie, pour la protection des données à caractère
personnel, sur la reconnaissance mutuelle en matière de probation, sur la définition de terrorisme et sur la reconnaissance mutuelle des jugements en matière pénale.

Le Conseil Énergie a notamment modifié les règles de gestion des stocks pétroliers stratégiques et les ministres des transports  ont adopté le paquet « Erika 3 »
concernant les obligations des armateurs et de l’Etat du pavillon en cas de pollution des mers ; ils se sont mis d’accord sur l’Eurovignette et sur diverses dispositions relatives au « Ciel unique »européen.

La France avait exigé la création d’un Groupe de réflexion sur l’avenir de l’Union, chargé de se pencher sur les vraies questions stratégiques posées à la construction
communautaire. Présidé par Felipe Gonzales, assisté de Vaira Vike-Frebeirga et Jorma. Ollila, celui-ci a été complété et officiellement installé . Il doit rendre ses conclusions en 2010.


 


International






La gestion des crises par la présidence a été brillante. Ayant depuis longtemps théorisé la nécessité d’une présidence forte du Conseil, la France a su en donner un exemple efficace. A l’exception des relations avec la Chine, tous les grands dossiers de politique internationale ont été l’occasion de dynamiser les relations avec d’autres grands partenaires et d’offrir le visage d’une Europe plus active et davantage identifiée sur la scène internationale. Elle a offert à l’Ukraine un « partenariat stratégique ». Elle a imposé une vision raisonnable des relations avec la Russie sans pour autant cautionner le régime russe actuel. L’Union ne peut ignorer son plus grand voisin, a intérêt à coopérer avec la Russie qui a un grand besoin du client européen pour son énergie et pour la modernisation de son économie. Avec ses grands partenaires (USA, Canada, Inde, Brésil), l’Union s’est révélée plus unie et plus active. La vision française a incontestablement fait progresser l’identité européenne sur la scène internationale en lui faisant davantage prendre conscience de sa force et de ses atouts.

L’exception chinoise est d’autant plus notable. Après les graves incidents au Tibet, les dirigeants du géant asiatique, qui accueillait les Jeux Olympiques pendant le
mois d’août, ont fait mine de céder aux instances européennes en reprenant un temps les discussions avec les Tibétains, pour finalement durcir leurs positions et focaliser leurs attaques sur la présidence française. La rencontre de N. Sarkozy avec le Dalaï Lama le 6 décembre leur a servi de prétexte pour mettre en cause leurs relations bilatérales avec la France. L’Union a un urgent besoin d’une stratégie commune envers la Chine , qui ne pourra s’abstraire de relations normales avec l’Europe, qui demeure le plus grand marché de consommation du monde. Les Chinois devront s’attendre à des positions européennes plus exigeantes sur l’état de droit et le respect des droits de l’Homme. La conduite des relations extérieures de l’Union par la présidence française a été considérée publiquement par plusieurs Chefs d’Etat et de gouvernement comme efficace et réussie. Plusieurs d’entre eux ont émis des inquiétudes sur la présidence tournante au regard des enjeux posés par l’évolution de la situation internationale et la crise économique mondiale. La présidence tchèque s’est ainsi retrouvée interpellée.



 


La présidence tchèque








Le 1er janvier 2009 la République tchèque exercera pour six mois la présidence du Conseil. L’euroscepticisme provocateur du président tchèque Vaclav Klaus (qui n’est pas constitutionnellement en charge de la politique européenne et étrangère de son pays) et les tractations autour  de la ratification du Traité de Lisbonne (débat renvoyé au 3 février 2009), jettent un doute sur l’engagement tchèque de poursuivre l’action menée par la Présidence française. Si le programme des trois présidences française, tchèque et suédoise est coordonné dans le cadre d’un programme concerté, la vision et les méthodes préconisées pour la mise en œuvre des mêmes mesures sont différentes. La République tchèque a déjà annoncé ses priorités 2009  : « Une Europe compétitive » qui implique l’approfondissement du marché intérieur, la promotion de la sécurité énergétique et la libéralisation du marché du gaz et de l’électricité, « une Europe ouverte et sûre », par l’approfondissement du partenariat transatlantique, l’accélération des négociations d’adhésion avec la Croatie et la Turquie et le développement de l’espace de sécurité, liberté et justice.

La présidence tchèque aura aussi à mettre en œuvre le « partenariat oriental », concept initié par plusieurs Etats membres d’Europe orientale, désireux de s’inspirer de l’Union pour la Méditerranée pour stabiliser six pays non membres de l’Union (Biélorussie, Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan).


Au total, l’agenda tchèque s’avère très traditionnel et conforme aux habitudes institutionnelles européennes. Mais sera-t-il adapté à la situation de crise internationale et à la montée des tensions prévisibles (Iran, Afghanistan) ? Un doute traverse toutes les capitales, tant la France a su montrer qu’une présidence active et forte peut seule maintenir l’unité face aux difficultés.







Quelques leçons tirées de la présidence française








La présidence française intervenait à un moment charnière pour l’Union européenne qui tente d’achever la réforme de ses institutions et se trouve en même temps
interpellée par un monde en mouvement.


Il est incontestable que les équilibres institutionnels de l’Union évoluent pendant que la politique reprend ses droits. La réforme institutionnelle de l’Union est nécessaire, le leadership politique est indispensable. La nature de l’Union européenne a profondément évolué. Elle est à la fois plus intergouvernementale que ne l’imaginaient ses Pères fondateurs et plus fédérale que ne le souhaitaient ses contempteurs. Les institutions européennes fonctionnent, y compris à 27. Les décisions sont prises, les prérogatives qui leur sont déléguées sont exercées. L’intégration du marché unique se poursuit et tous les domaines de législation nationale sont désormais engagés dans un mouvement d’harmonisation, dont le rythme varie selon les sujets. L’Euro fait figure de fédérateur, de rassembleur et de protecteur. Dans ce mouvement, le Parlement européen renforce son influence et fait la preuve de son utilité, pendant que la Commission est défiée par le nouvel équilibre politique. La matière communautaire est d’essence naturellement politique. La législation européenne relève de plus en plus de la politique intérieure. Les institutions européennes ne peuvent plus être gérées sur le seul mode diplomatique. Les Affaires européennes appartiennent désormais aussi  à l’ordre de la politique intérieure.


L’entente franco-allemande s’est, une fois encore, manifestée sur les dossiers concrets soumis au Conseil européen. Elle a été en mesure de permettre des décisions. Sur les sujets précis, la coopération entre les deux pays a atteint un nouveau seuil de confiance et d’efficacité. Jamais les diplomates et les responsables en charge des négociations n’ont autant collaboré à la préparation des décisions européennes. En revanche des divergences, jadis cachées ou retenues, portant sur la politique économique ont été rendues publiques. Elles traduisent les différences de situation des deux pays. Elles exigent des débats franco-allemands renouvelés qui devraient être organisés sur les finalités européennes et les moyens de la politique communautaire. Les deux partenaires historiques doivent manifestement retrouver, au-delà des rites et des symboles, les moyens de démontrer leur communauté de vues sur l’avenir de l’Union.


La présidence française a démontré un fort leadership politique interne, qui a permis de surmonter des difficultés que la seule négociation diplomatique aurait rendu insurmontables.  L’engagement du Conseil à reprendre les propositions de la Commission sur l’environnement, est ainsi un choix politique majeur qui a rendu possible l’adoption d’un programme exemplaire malgré la crise économique. Le fonctionnement du Conseil, si critiqué de ce point de vue, a démontré la nécessité d’une présidence stable et forte telle que prévue par le Traité de Lisbonne. Le choix du futur président sera évidemment déterminant.


Les Etats membres pratiquent davantage et naturellement « le réflexe européen » et n’hésitent pas à s’allier en coalitions de circonstance pour affronter certaines questions. Pour les grandes questions de politique étrangère, comme l’Iran, le Moyen-Orient, la Russie, des consultations intergouvernementales ont lieu entre certains Etats membres qui forment parfois des coalitions temporaires ou permanentes. Ces exemples de « différenciation » préjugent d’une évolution durable. Les Etats devront néanmoins veiller à ne pas affaiblir les institutions communes qui, pour ce qui les concerne, devront savoir s’adapter à de nouveaux besoins. L’Union ne peut que tirer profit de l’addition de spécificités de ses Etats membres, profiter de l’expérience des grandes diplomaties ou de situations régionales particulières. L’Union, qui a consacré toute son énergie des 50 dernières années à abolir les barrières entre ses Etats membres, doit désormais relever le défi extérieur et se penser face au monde.


Sur la scène internationale, en effet, elle dispose d’une place et d’un statut à part. Union pacifique et volontaire d’Etats souverains, elle incarne naturellement les valeurs du multilatéralisme, du règlement pacifique des différends, de la prospérité par la paix. Elle est pourtant confrontée à des défis très concrets qui la contraignent à agir de manière plus unitaire. Elle a obtenu la réunion d’un G20, pour la première fois élargi aux pays émergents et en développement alors que ni l’ONU ni le G8 ne parvenaient à se réformer en ce sens. Le contenu des décisions prises à Washington le 15 novembre, qui donnera lieu à une autre réunion internationale à Londres au mois d’avril 2009, marque le triomphe de conceptions européennes qui n’ont jamais été formalisées mais qui correspondent parfaitement à des convictions partagées et aux intérêts propres de chacun des pays européens : une vraie régulation appuyée sur des organisations internationales disposant de pouvoirs propres, la transparence des marchés et des acteurs économiques, leur légitimité face à l’économie réelle.

En matière économique, les 27, qui représentent le principal pôle de richesse mondiale, ont su mobiliser près de 1 800 milliards d’Euro pour garantir le système
financier, ce qui représente près de 3 fois les garanties accordées par les Etats-Unis à leurs banques. Son plan de relance de 200 milliards €, développés par les Etats membres et la mobilisation de maigres crédits communautaires, est loin d’être négligeable. Appuyé sur l’Euro et sur une Banque centrale dont la sagesse et la solidité constituent les meilleurs atouts pour l’économie européenne, il peut encore être abondé si nécessaire et l’Europe paraît mieux armée que par le passé pour affronter une crise qui durerait.


En matière d’environnement, répondant à l’appel du Secrétaire général de l’ONU à assurer « un leadership » dans la lutte contre le réchauffement climatique , l’Union aborde les négociations internationales de l’après-Kyoto, qui se dérouleront à Copenhague en décembre 2009, en position de leader exemplaire. Si elle devait être suivie par l’Amérique de Barack Obama, elle pourrait revendiquer avoir contribué de manière déterminante au sauvetage de la planète.


La relation transatlantique sera vraisemblablement au cœur de la politique européenne en 2009. Les prises de position du nouveau président américain ont enthousiasmé les opinions européennes, mais tout porte à penser que la politique étrangère de la nouvelle administration diffèrera peu de la précédente. Aussi l’Union doit-elle pousser ses avantages et exiger une relation plus équilibrée avec les Etats-Unis. C’est le sens de la démarche des ministres des Affaires étrangères qui, à l’initiative de Bernard Kouchner, ont transmis au président élu une liste de sujets sur lesquels ils souhaitent un dialogue renouvelé. Dans la détermination de cette nouvelle relation, qui doit mieux prendre en compte les intérêts et les atouts européens spécifiques, la France et l’Allemagne, qui partagent les mêmes positions, doivent prendre un leadership rapide pour éviter de nouvelles divisions européennes.


La nouvelle posture imposée par Nicolas Sarkozy à la politique américaine de la France, permet à l’Union européenne, une plus grande marge de manœuvre à l’OTAN et vers l’Est, pour autant que l’Europe reste unie. La confiance retrouvée entre la France et les Etats-Unis doit permettre à l’Union d’être le maître d’œuvre de sa politique de défense, de ses choix en matière d’élargissement, qui ne doivent pas être affectés par des considérations globales qui ne correspondraient pas aux intérêts européens propres.


L’Union, en effet, reste attirante pour ses voisins. Elle dérange le jeu traditionnel des grands acteurs mondiaux. Les pressions pour des élargissements futurs ne vont pas cesser. Elle doit développer à ses frontières une véritable politique étrangère au moyen des accords d’association et de partenariat. La crise russo-géorgienne a mis en évidence la nécessité de repenser l’élargissement de l’espace euro-atlantique et de développer pour l’Union, une véritable politique de présence et d’investissement à ses frontières. La signature d’un accord avec l’Ukraine, le réinvestissement européen dans le Caucase du Sud, la reprise des négociations avec la Russie sont de bonnes nouvelles pour la stabilité du continent européen. En revanche, l’irruption de l’Union comme médiatrice dans la crise russo-géorgienne n’est pas considérée comme telle par les grandes puissances, à commencer par la Russie et la Chine. Unie, l’Europe est trop forte et complique leur jeu de puissance traditionnel ! Les provocations chinoises envers le président français doivent être interprétées dans ce contexte. 






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Fondée sur le principe d’ouverture, qui la conduisait dès l’origine à prêcher par l’exemple le libre-échange qui s’est désormais imposé partout, elle doit se voir davantage en acteur comme les autres du commerce international. Cela doit la conduire, en matière économique et commerciale, à réfuter toujours le protectionnisme mais à négocier pied à pied avec ses grands partenaires des accords plus équilibrés où la réciprocité doit devenir la règle. Elle doit, par exemple, savoir protéger ses technologies d’avenir, ce qu’un Etat fait naturellement mais que l’Union peine à imaginer au regard des règles du grand marché. Elle a su imposer sa présence. Elle doit poursuivre dans cette voie et accepter l’objectif « d’Europe puissance », jusqu’ici trop identifié comme une revendication française.

Il semble qu’elle n’ait pas le choix. Un consensus se dessinera-t-il sur ce but et dans quel délai ? Par son activisme positif et engagé, qui respecte la nature de l’Union
tout en bousculant des pratiques et des usages réputés acquis, la présidence française aura démontré que c’était possible. Nul ne doute qu’un long chemin attend encore l’Union européenne avant de s’accepter elle-même comme telle.

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