Beaucoup réclament depuis longtemps que l’Union européenne se pense en puissance sur la scène internationale. Celle-ci se transforme à grande vitesse et l’Europe n’y pèse pas son poids réel. Le nouveau contexte stratégique et politique exige désormais qu’elle s’y consacre en priorité. Cela concerne sa sécurité, son économie et son modèle politique.
L’Union européenne, divisée, n’est aujourd’hui pas en mesure, du fait de son histoire, de ses compétences et de ses traités, de répondre aux défis de sécurité qui se multiplient. Il ne saurait en effet y avoir de diplomatie puissante sans un outil militaire qui la crédibilise. Il ne saurait y avoir de paix durable sans volonté de se battre pour la garantir, voire l’imposer. Or, Seuls quelques uns de ses Etats membres semblent partager une même vision du monde et être capables d’actions militaires. La plupart d’entre eux s’en sont remis à l’alliance nouée avec les Etats-Unis dans le cadre de l’OTAN. Le Brexit et l’élection américaine ont démontré qu’une alliance, aussi forte et utile soit-elle, ne saurait remplacer l’autonomie de pensée qui fonde l’indépendance. Un traité de défense de l’Europe est nécessaire, pour réassurer une véritable sécurité collective, avec des objectifs, des moyens et une stratégie. Il n’est pas conforme à l’urgence de s’entêter à créer des instruments communautaires qui ne pourront fonctionner au mieux qu’après une union politique totale, mais il est indispensable d'additionner les volontés politiques et les capacités.
Le même raisonnement s’applique à l’économie. L’Europe, un continent bien plus puissant que sa taille démographique et géographique, est obligée d’être ouverte sur le monde. Elle doit être capable de surmonter le mouvement de repli national partout constaté si elle se pense en entité autonome et efficace, capable de répondre aux attentes de ses peuples. C’est ainsi qu’elle doit repenser sa politique de concurrence et sa politique commerciale, dans l’ouverture, la réciprocité et la préférence européenne. Sa monnaie unique constitue un atout, ses capacités commerciales un avantage considérable, elles peuvent aussi être des armes au service d’une politique.
Quant à la question migratoire, devant nous pour longtemps, elle pose toute une série de questions identitaires, économiques, sociales auxquelles les Etats eux-mêmes ne parviennent plus à répondre. Très concrètement certains d’entre eux pourraient prendre la tête d’un groupe-pionnier élaborant une politique commune d’asile, conforme à nos valeurs, une politique d’immigration économique adaptée, c’est-à-dire tenant compte des besoins différents de chacun des Etats membres.
Pour progresser dans ces trois domaines vitaux pour le projet européen, sécurité, économie, immigration, les Européens peuvent désormais compter sur des institutions communes aptes à aider et à faciliter les coopérations. Le « tournant Juncker » est réel. Il est politique et volontaire. Mais rien ne saurait exonérer les Chefs d’Etat et de gouvernement de leurs responsabilités. Il leur appartient de montrer l’exemple. Ainsi à l’intégration progressive par les normes et le droit pourrait succéder une intégration par l’exemple. Montrer l’exemple à quelques uns en restant ouverts aux Etats qui voudraient rejoindre. On leur demande en quelque sorte, loin de l’indifférence dont ils font preuve à l’égard de la construction européenne, voire de la critique facile et peu courageuse des politiques communes, de s’emparer de la décision politique et de l’exercer. En quelque sorte de proclamer à leur tour: Europa first!